Publié par Sherry Cooper
Trudeau ouvre les robinets : dépenses sociales, soutien du revenu, économie verte.
Le premier budget de Chrystia Freeland est conforme aux attentes
Le premier budget fédéral en plus de deux ans prolonge de quelques mois le secours apporté aux travailleurs et aux entreprises en difficulté face à la COVID-19, en attendant que le Canada échappe pour de bon à la pandémie. Le document budgétaire faisant non moins de 864 pages établit dans le détail la politique du Canada pour l’après-pandémie.
Le plan budgétaire, le premier de la ministre des Finances Chrystia Freeland, est largement perçu comme un programme préélectoral. Il annonce plus de 100 milliards de dollars de nouvelles dépenses sur trois ans, à l’intention d’un large éventail d’électeurs – depuis les aînés et leurs soignants jusqu’aux parents et aux propriétaires d’entreprises.
Le gouvernement devra obtenir l’appui d’au moins un parti de l’opposition pour éviter une élection ce printemps en pleine pandémie. Ce ne sera sans doute pas un problème, puisqu’une bonne part des « investissements » redistributifs et des dépenses sociales sont tout à fait dans les cordes du Nouveau Parti démocratique.
La dette nette du Canada dépasse maintenant pour la première fois les 1000 milliards de dollars, après un déficit de 354 milliards pour l’année de pandémie qui vient de s’achever. Elle augmentera encore, avec des déficits de 155 milliards cette année et de 60 milliards en 2022-2023.
Ces projections s’expliquent en partie par les plus de 100 milliards de dollars de nouvelles dépenses sur trois ans. En font partie les fonds nécessaires au maintien des subventions pour les salaires et pour les loyers ainsi que de l’aide aux travailleurs mis à pied, maintenant prolongées jusqu’en septembre au lieu de prendre fin en juin.
La ministre Freeland prépare aussi le Canada d’après la pandémie tel que les libéraux le conçoivent : avec des services de garderie à 10 $ par jour, la capacité de produire ses propres vaccins, des normes nationales sur les soins de longue durée et des petites et moyennes entreprises dotées des travailleurs et de la technologie dont elles ont besoin pour survivre.
La vision comprend aussi un pays plus écologique et plus propre, avec plus de 17 milliards de dollars pour des programmes face aux changements climatiques. Une bonne part prendra la forme de mesures incitatives pour encourager l’industrie lourde à réduire ses émissions et pour développer le secteur canadien des technologies propres.
Il reste que tout pourrait encore changer au gré de la pandémie, si l’approvisionnement en vaccins ne suit pas ou si les vaccins s’avèrent moins efficaces pour les nouveaux variants du virus. Le budget indique quelles seraient les répercussions si les pires scénarios de pandémie se matérialisaient.
Les risques paraissent d’autant plus réels à l’heure où le pays est aux prises avec la pire vague de la pandémie jusqu’à présent, les hospitalisations et le nombre de patients aux soins intensifs atteignent des records, et médecins comme infirmières préviennent que le système de soins de santé est au bord du gouffre.
Le ratio de la dette au PIB augmentera encore, jusqu’à 51,2 % contre 49,0 % en 2020-2021 et un peu plus de 31 % avant la pandémie. Cependant, il devrait plafonner cette année, puis descendre sous les 50 % d’ici 2025-2026.
De l’aide pour les étudiants et les travailleurs à faible revenu
Le budget vise à créer 500 000 possibilités de formation et d’emploi. Il affecte 2,4 milliards de dollars sur trois ans pour le développement des compétences et les métiers, dont environ 40 % pour la formation dans des secteurs allant des soins de santé à la construction.
Il ajoute 8,9 milliards de dollars pour bonifier l’Allocation canadienne pour les travailleurs afin d’améliorer la situation des travailleurs à faible revenu : le seuil de revenu auquel les prestations commencent à baisser sera rehaussé.
Par ailleurs, le salaire minimum fédéral est augmenté à 15 $ l’heure, 300 millions de dollars sont affectés à des programmes pour l’entrepreneuriat des communautés noires, des femmes et d’autres groupes sous-représentés. Il y a aussi un renouvellement de la volonté de protéger les travailleurs à la demande au moyen de modifications promises au Code canadien du travail.
Environ 300 000 Canadiens qui avaient un emploi avant la pandémie sont encore sans emploi.
De l’aide pour les petites entreprises, le secteur du tourisme et les arts
Le gouvernement a annoncé un prolongement de la Subvention d’urgence du Canada pour le loyer (SUCL) et de la Subvention salariale d’urgence du Canada (SSUC) au-delà de leur échéance actuelle du 5 juin, en précisant toutefois qu’il entend y mettre fin graduellement d’ici la fin de septembre. Le gouvernement a aussi annoncé un nouveau crédit à l’embauche et des programmes d’aide pour les secteurs durement touchés du tourisme et des arts. Les entreprises qui touchent la SSUC devront la rembourser si leurs cadres gagnent davantage en 2021 qu’ils ne le faisaient avant la pandémie. D’aucuns affirment que cette dernière mesure aurait dû être prévue dès que la subvention est entrée en vigueur à la mi-2020.
Le secteur du tourisme, qui a particulièrement souffert, obtient aussi 500 millions de dollars dans un fonds d’aide au tourisme qui sera administré par les agences de développement régional. Le fonds aidera les entreprises locales à se relever de la récession provoquée par la COVID. Il y aura en plus 100 millions de dollars pour une campagne de marketing encourageant les Canadiens à visiter des destinations de vacances au pays – même si elles affichent déjà complet pour le reste de l’année.
Le budget annonce encore 200 millions de dollars de dépenses à l’appui de grands festivals artistiques et culturels, par l’entremise des agences de développement régional.
Le gouvernement Trudeau fait le pari que les mesures augmenteront la productivité et s’autofinanceront
Le budget du gouvernement estime que ses dépenses créeront ou préserveront quelque 330 000 emplois l’an prochain et ajouteront environ deux points de pourcentage à la croissance économique, dans le cadre de la stimulation produite par les nouvelles dépenses de 101,4 milliards de dollars sur trois ans.
La plus grande part en est les presque 30 milliards de dollars, sur cinq ans, devant faire baisser les frais de garderies de qualité jusqu’à 10 $ par jour d’ici 2026. Ces fonds s’ajoutent aux dépenses déjà prévues pour les garderies. Il y a toutefois le problème que le plan exige l’adhésion des provinces, les dépenses devant être partagées à parts égales. Cette condition pourrait causer des retards.
Des fonds supplémentaires sont aussi prévus pour l’infrastructure à large bande, et il y a 7 milliards de dollars en fonds, en financement et en conseils pour aider les entreprises à adopter et développer de nouvelles technologies afin de réduire le retard du pays en matière de productivité.
Ottawa tente d’accélérer la reprise de l’emploi avec un nouveau programme compensant une partie des frais de main-d’œuvre des employeurs. Le programme d’embauche pour la relance économique du Canada irait du 6 juin au 20 novembre et couvrirait jusqu’à 50 % des coûts supplémentaires découlant d’une augmentation des salaires ou des heures travaillées ou de l’embauche d’un plus grand nombre d’employés. Le coût estimé du programme est de 595 millions de dollars.
Le marché du travail s’est en grand partie rétabli de la pandémie. Le nombre de Canadiens en emploi est en baisse d’environ 300 000, soit 1,5 %, par rapport aux niveaux d’avant la pandémie. Aujourd’hui, le recul est surtout confiné dans quelques secteurs – comme le secteur hôtelier – dont les activités sont limitées en raison des mesures de santé publique. En même temps, l’emploi a augmenté dans de nombreux secteurs de cols blancs.
Logement et immobilier
Comme dans des budgets précédents, le gouvernement fédéral a proposé une série de mesures sur le logement. Ce n’est toutefois sans doute pas assez pour calmer l’activité et la spéculation de la dernière année.
Le Canada imposera une taxe de 1 % sur la valeur de biens immobiliers appartenant à des étrangers si la propriété est vacante, à partir de 2022. La Colombie-Britannique et l’Ontario imposent déjà une taxe aux acheteurs étrangers. La mesure devrait rapporter 700 millions de dollars de recettes sur quatre ans, à partir de 2022-2023.
Le budget propose aussi d’affecter 2,5 milliards de dollars de plus à la SCHL pour diverses initiatives, y compris la construction d’unités de logement abordable, et de réaffecter 1,3 milliard de dollars pour des initiatives comme la transformation d’immeubles de bureaux inoccupés en logements.
Pour autant, le budget est tout aussi remarquable pour ce qui ne s’y trouve pas : de nouvelles mesures visant directement à calmer le marché immobilier.
Des mesures pour les aînés, l’économie verte, la réduction de l’évasion fiscale, une taxe de luxe sur les yachts, les voitures de luxe…
- Si tout va bien, et si la pandémie est essentiellement chose du passé d’ici septembre, le gouvernement prévoit une forte baisse des déficits et de la dette sur un horizon de cinq ans.
- En tant que part de l’économie, la situation est à peu près où elle en était en novembre, avec des déficits annuels d’en moyenne 5,8 % du PIB sur cinq ans, contre 5,7 %.
- L’émission d’obligations baissera en 2021, à 286 millions de dollars, contre 374 millions de dollars au cours de l’exercice précédent. Le gouvernement entend émettre plus de 40 % de ses obligations avec des échéances de 10 ans ou plus, contre 15 % avant la pandémie. Il rouvrira les obligations à échéance de 50 ans.
- Le gouvernement s’engage à réduire la dette fédérale en part de l’économie « à moyen terme », ce qui constitue sa cible budgétaire.
- Le Canada prévoit mettre en place une taxe sur les services numériques de 3 % des revenus, pour les géants de la technologie. Elle s’appliquerait à compter du 1er janvier 2022, « jusqu’à ce qu’une approche multilatérale acceptable la remplace ». Il est estimé que cette taxe produirait 3,4 milliards de dollars en recettes sur cinq ans.
En somme
Il n’y a pas de plan pour équilibrer le budget, mais les observateurs attendaient de voir si Ottawa allait s’engager à respecter une cible budgétaire précise. Aucun chiffre précis n’a été mentionné, mais le budget précise que : « Le gouvernement est déterminé à combler les déficits liés à la COVID-19 et à réduire la dette fédérale en tant que part de l’économie à moyen terme. » Si l’économie se rétablit plus ou moins selon les prévisions faisant consensus et que les coûts d’emprunt ne grimpent pas radicalement, cet énoncé indique que la cible serait d’un ratio dette/PIB de 50 %. Quant au déficit, ce serait un retour au niveau d’avant la pandémie d’environ 1 % du PIB (ou environ 30 milliards de dollars plus tard dans la décennie). En un sens donc, la pandémie a été « payée » par une majoration ponctuelle du ratio dette/PIB, de 30 % à 50 %.