Publié par Sherry Cooper
Trump l’a fait : la guerre commerciale a commencé à minuit. Les actions et les devises sont en chute, mais les taux d’intérêt aussi.
Trump l’a fait : la guerre commerciale commence aujourd’hui
Le président américain Donald Trump a imposé des tarifs douaniers de 25 % sur les biens provenant du Mexique et du Canada, de 10 % sur l’énergie canadienne et de 10 % de plus sur les biens de Chine. Il s’est justifié en soutenant que ces mesures forceraient le Mexique et le Canada à s’attaquer à des problèmes liés à la migration irrégulière et au trafic de drogue. Cependant, si des produits chimiques précurseurs du fentanyl arrivent de Chine et des migrants irréguliers franchissent la frontière sud avec le Mexique, le Canada ne représente qu’environ 1 % de ces deux problèmes.
Le Wall Street Journal, habituellement considéré comme une publication conservatrice, a critiqué Trump en parlant de « la guerre commerciale la plus stupide de l’histoire ». Selon le Journal : « M. Trump semble parfois croire que les États-Unis ne devraient rien importer du tout, que l’Amérique peut être une économie parfaitement fermée fabriquant tout elle-même. C’est ce qu’on appelle autarcie, et ce n’est pas le monde dans lequel nous vivons ou dans lequel nous voudrions vivre, comme M. Trump pourrait bientôt le constater. »
Cette politique tarifaire mal avisée causera des dommages incalculables à l’économie mondiale, y compris aux États-Unis. Les Américains subiront des prix plus élevés et des pénuries de produits clés importés du Canada et du Mexique. Les divers accords de libre-échange nord-américain visaient à accroître les gains en efficience manufacturière et allier les trois économies pour maximiser la productivité et la libre circulation d’intrants à la production. Le Canada est le premier fournisseur d’acier et d’aluminium, et il n’y a pas d’autres sources aisément accessibles pour ces intrants vitaux. La fabrication de nombreux produits et l’activité de construction utilisent l’acier et l’aluminium. L’aluminium est produit au Québec où l’hydroélectricité est abondante et économique. Les agriculteurs américains comptent sur la potasse et les pièces automobiles du Canada, et le Canada est le premier exportateur de pétrole et de gaz aux États-Unis.
Aujourd’hui, l’industrie automobile américaine fonctionne comme une entité nord-américaine, avec des chaînes d’approvisionnement hautement intégrées entre les trois pays. En 2024, le Canada fournissait presque 13 % de toutes les pièces automobiles importées aux États-Unis, et le Mexique, presque 42 %. Les spécialistes de l’industrie notent que souvent, un véhicule produit sur le continent franchit des frontières plusieurs fois, les fabricants cherchant les solutions les plus économiques pour l’approvisionnement en composants et pour l’ajout de valeur.
Cette intégration profite à tous. Selon le Bureau du représentant des États-Unis au commerce extérieur, l’industrie a contribué plus de 809 milliards de dollars à l’économie américaine en 2023, soit environ 11,2 % de la production manufacturière totale des États-Unis, soutenant 9,7 millions d’emplois directs et indirects aux États-Unis. En 2022, les États-Unis ont exporté pour 75,4 milliards de dollars de véhicules et pièces au Canada et au Mexique. Selon l’American Automotive Policy Council, ce chiffre a grimpé de 14 % en 2023, s’élevant à 86,2 milliards de dollars.
Sans ce commerce, les fabricants automobiles américains peineraient à soutenir la concurrence. L’intégration régionale est devenue une stratégie manufacturière généralisée au Japon, en Corée et en Europe. Elle tire parti des ouvriers qualifiés et des marchés du travail à faibles coûts pour s’approvisionner en composants, pour développer des logiciels et pour faire du montage.
En conséquence, la capacité industrielle américaine en matière d’automobiles a évolué en même temps qu’augmentaient les véhicules, les moteurs et les composants importés. De 1995 à 2019, ces importations ont augmenté de 169 %, alors que la capacité industrielle américaine correspondante augmentait de 71 %. Des milliers d’emplois bien payés dans le secteur automobile d’États comme le Texas, l’Ohio, l’Illinois et le Michigan sont concurrentiels grâce à cet écosystème qui compte largement sur des fournisseurs au Mexique et au Canada.
Les tarifs douaniers vont aussi semer le chaos dans le commerce transfrontalier de produits agricoles. Dans l’exercice 2024, le Mexique fournissait environ 23 % des importations agricoles des États-Unis, et les Canada, environ 20 %. De nombreux grands producteurs américains ont déménagé au Mexique parce qu’il est devenu difficile de trouver des travailleurs aux États-Unis en raison des limites imposées à l’immigration légale. Le Mexique fournit aujourd’hui 90 % des avocats vendus aux États-Unis.
Hier, l’annonce du président sur les tarifs a mené à une chute immédiate sur les marchés boursiers mondiaux. Les obligations, considérées comme un refuge, ont connu une forte hausse. En conséquence, les taux d’intérêt à long terme ont baissé fortement, dans l’attente d’un important ralentissement de l’activité économique. Le dollar canadien a nettement baissé, récupérant toutefois un peu de terrain le lendemain. Les prix du pétrole WTI ont reculé de 2 % hier, et continué de descendre aujourd’hui.
En somme
La situation est perdant-perdant, et le président Trump sous-estime les répercussions négatives de ses décisions chez lui et à l’étranger. Les représailles seront rapides. Les Américains regimberont contre la perturbation de chaînes d’approvisionnement (pensez à des mois d’attente pour une nouvelle voiture) et l’augmentation du prix de nombreux produits.
Le légendaire investisseur Warren Buffet a appelé les tarifs douaniers « un acte de guerre ».
Avant l’imposition des tarifs douaniers, nous pouvions prévoir une croissance d’environ 2 % cette année. Si les tarifs restent en place un an, l’économie canadienne plongera en récession. Nous verrons sans doute quelques trimestres de croissance négative avant de revenir graduellement dans le positif.
Malgré le risque d’inflation, la Banque du Canada réagira décisivement pour parer l’effondrement des marchés du travail et de l’économie en général. Lors de la prochaine réunion de son Conseil de direction le 12 mars, nous nous attendons à une nouvelle réduction de 25 points de base du taux directeur, ce qui le ramènera à 2,75 %. Au cours de l’année à venir, nous prévoyons que la Banque continuera d’assouplir le crédit, si bien qu’un taux à un jour de 2,0 % est probable.
Le rendement canadien sur cinq ans, baromètre pour l’établissement des taux hypothécaires fixes, est tombé à 2,51 %, son plus bas niveau depuis presque trois ans. Des taux d’intérêt plus bas sont bons pour les marchés du logement, bien que l’inévitable montée du chômage et la baisse des dépenses atténueront cet effet.