Publié par Sherry Cooper
Trois banques américaines font faillite et les marchés s’affolent.
Les États-Unis prennent des mesures d’urgence pour protéger les déposants des banques en faillite
La banque Silicon Valley (SVB) avait une solide réputation parmi les nombreuses jeunes entreprises technologiques qu’elle a aidé à financer. Ce qui a perdu la SVB est une bonne vieille ruée bancaire provoquée par une série de mauvaises décisions en 2021.
Cette année-là, le marché boursier était en plein essor, les taux d’intérêt étaient près de zéro, et le secteur de la technologie avait tout l’argent voulu. Le prêteur de Santa Clara, en Californie, a vu ses dépôts gonfler jusqu’à près de 200 milliards de dollars en mars 2022, contre plus de 60 milliards deux ans plus tôt.
La banque a investi une bonne part de ces liquidités dans des obligations du Trésor à long terme, qui sont normalement considérées comme un investissement sûr. À l’échéance, la pleine valeur initiale de cet investissement serait revenue à la banque. Cependant, les taux d’intérêt ont augmenté radicalement depuis mars dernier, faisant que le cours de ces obligations évaluées à la valeur du marché a périclité. La SVB risquait de fortes pertes si elle devait liquider son portefeuille de titres.
En a découlé un énorme écart entre la valeur de ses dépôts et son portefeuille d’obligations. En outre, ce fait n’était pas immédiatement évident pour les déposants, à la suite de l’assouplissement de 2018 de la réglementation bancaire qu’avait tant favorisé le PDG de la SVB. Les banques régionales n’étaient plus tenues de rapporter leurs actifs selon leur valeur de marché, ni de se soumettre régulièrement à des simulations de crise pour prouver à l’organisme de réglementation fédéral qu’elles pourraient survivre à des événements imprévisibles. Enfin, les exigences en matière de capital étaient devenues plus souples.
En 2018, le président Trump a allégé la surveillance des prêteurs régionaux et de petite envergure lorsqu’il a signé une vaste mesure destinée à réduire le coût de la conformité à la réglementation. En mai 2018, le seuil déterminant si une banque était d’importance systémique – et dès lors soumise à des exigences dont un test annuel de simulation de crise – a été porté à 250 milliards de dollars d’actifs au lieu de 50 milliards.
La SVB venait à l’époque de franchir le cap des 50 milliards de dollars. Au début 2022, elle atteignait 220 milliards de dollars, se classant comme 16e plus grande banque américaine.
En 2015, le PDG de la SVB Greg Becker a exhorté le gouvernement d’augmenter le seuil, soutenant qu’il entraînerait autrement une augmentation des coûts des clients et « entraverait notre capacité de fournir du crédit à nos clients ». Il disait qu’avec son activité de base relevant des services bancaires traditionnels – accepter des dépôts et prêter à des entreprises en croissance –, la SVB ne posait pas de risques systémiques.
Autre problème, la SVB avait une concentration inhabituelle de dépôts de certains types de clients. Les déposants de la SVB appartenaient en grande partie au petit monde des entreprises en démarrage et des investisseurs en capital de risque. Depuis quelques semaines, ces investisseurs et d’autres clients fortunés ont commencé à exprimer sur les médias sociaux et en privé des craintes que la SVB ne pouvait plus payer ses déposants. Certains ont commencé à retirer leur argent de la banque, entraînant une perte de confiance et une ruée sur la banque.
Une chute rapide
Vendredi, la banque Silicon Valley est devenue la plus grande banque américaine à faire faillite depuis la crise financière de 2008.
Une autre banque a bien profité de l’allégement de la surveillance réglementaire des petites et moyennes banques régionales : la banque Signature, de New York. Elle a aussi souffert d’un retrait massif de dépôts. Dimanche, les autorités ont fermé la banque Signature, craignant que les retraits soudains et massifs de dépôts l’avaient laissée en situation périlleuse.
Les deux fermetures de banque consécutives ont alarmé les investisseurs, les clients et les autorités, ramenant des souvenirs de la crise de 2008 qui avait fait culbuter des centaines de banques, mené à d’énormes sauvetages aux frais du contribuable et plongé les États-Unis et bien d’autres pays dans une profonde récession.
Le Canada, pour sa part, a largement échappé à la catastrophe, connaissant seulement une récession légère et courte. Même si les actions des banques canadiennes ont souffert, notre système bancaire a été loué dans le monde entier en tant qu’exemple de bonne réglementation.
Les autorités s’empressent de prévenir des ruées sur les banques
Les autorités fédérales américaines se sont empressées d’agir pour désamorcer la situation en fin de semaine. Dimanche, elles annonçaient que tous les déposants seraient remboursés en entier.
La Réserve fédérale, le Trésor et la société fédérale d’assurance-dépôts (FDIC) ont annoncé dans une déclaration commune que « les déposants auront accès à tous leurs fonds à partir du lundi 13 mars ». Pour apaiser les inquiétudes quant à savoir qui paierait, les organismes ont affirmé qu’« aucune perte associée à la résolution de la situation de la banque Silicon Valley ne sera supportée par le contribuable ».
Les organismes ont aussi insisté qu’ils indemniseraient les déposants de la banque Signature, dont le gouvernement a révélé qu’elle avait été fermée dimanche par les autorités bancaires de New York. Les responsables de l’État ont expliqué que la décision avait été prise « à la lumière d’événements sur le marché, en surveillant les tendances du marché et en collaborant étroitement avec d’autres autorités d’États et autorités fédérales » pour protéger les consommateurs et le système financier.
Dimanche et lundi, le président américain s’est voulu rassurant : « Je suis heureux qu’ils sont parvenus à une solution rapide qui protège les travailleurs américains et les petites entreprises, et assure la sécurité de notre système financier. La solution garantit aussi que les fonds publics ne sont pas exposés à des risques. »
Et d’ajouter : « Je suis déterminé à tenir les auteurs de ce gâchis entièrement responsables et à poursuivre nos efforts pour renforcer la surveillance et la réglementation des plus grandes banques pour que nous ne nous retrouvions plus dans une telle situation. »
L’effondrement de la banque Signature est la troisième faillite bancaire notable en une semaine. Silvergate, une banque californienne qui prêtait à des entreprises de cryptomonnaie, a annoncé mercredi dernier qu’elle cesserait ses activités et liquiderait ses actifs.
La Réserve fédérale a aussi annoncé qu’elle créerait un programme de prêts d’urgence, avec l’accord du Trésor, pour acheminer des fonds aux banques admissibles et aider à faire en sorte qu’elles puissent « répondre aux besoins de tous leurs déposants ».
Le financement supplémentaire sera mis à disposition grâce à la création d’un nouveau programme de financement à terme des banques (Bank Term Funding Program – BTFP). Les banques, caisses d’épargne, caisses de crédit et autres institutions de dépôts admissibles pourront ainsi obtenir des prêts d’un an en offrant en garantie des titres du Trésor, des titres d’organismes gouvernementaux, des titres hypothécaires et autres actifs admissibles. Ces actifs seront évalués à leur valeur nominale. Le BTFP sera une autre source de liquidités sous réserve de garanties de haute qualité. Il s’agit ainsi d’éviter que des institutions doivent vendre ces titres rapidement dans une période de fortes pressions. La FDIC est normalement chargée de liquider une banque en faillite de la façon la moins coûteuse possible, mais les autorités ont convenu que la situation posait un risque pour le système financier et l’ont autorisée à invoquer une exception à cette règle. Le fonds d’assurance-dépôts, alimenté par des droits payés par le secteur bancaire, sera mis à contribution pour rembourser les déposants.
Les organismes ont précisé que « toute perte encourue par le fonds d’assurance-dépôts pour venir en aide à des déposants non assurés sera récupérée au moyen d’une cotisation spéciale des banques, comme l’exige la loi ».
Lundi de crise sur les marchés
Sans surprise, les marchés boursiers du monde entier ont ouvert en forte baisse lundi. La veille, Goldman Sachs affirmait que toute hausse de taux de la Fed était exclue le 22 mars (je ne suis pas d’accord). Les actions des banques et du secteur de l’énergie ont le plus souffert sur presque tous les marchés. En revanche, les obligations ont nettement monté, faisant d’autant baisser les taux d’intérêt.
Lorsque des banques s’effondrent, d’autres craignent parfois que leurs propres banques et leurs investissements fassent de même. Même des banques saines ne conservent pas suffisamment de liquidités pour rembourser tous les déposants. Dès lors, si la panique se répand et que trop de clients réclament leur argent en même temps – cas classique de ruée bancaire –, il peut s’ensuivre une calamité financière et économique. C’est ce que le gouvernement Biden et la Réserve fédérale tentent d’éviter : une crise financière déclenchée principalement par une crise de confiance.
Les banques du Canada se portent beaucoup mieux
Bien que les actions de la plupart des banques canadiennes aient plongé lundi, l’environnement réglementaire est bien plus serré qu’aux États-Unis. De plus, six grandes banques dominent au Canada, alors qu’il y en a des milliers aux États-Unis. Les banques canadiennes ont des réseaux nationaux de succursales, une clientèle vaste et diversifiée, une moindre exposition à la technologie, moins de risque de fuite de dépôts et des ratios plus serrés de prêts par rapport aux dépôts.
Il y a bien moins de capitaux flottants dans les banques canadiennes que chez les prêteurs de petite et moyenne envergure aux États-Unis qui se concentrent sur des créneaux précis des marchés des prêts et des dépôts. Les banques canadiennes sont aussi beaucoup mieux capitalisées.
La ministre des Finances, Chrystia Freeland, a rencontré le surintendant des institutions financières fédérales du Canada, Peter Routledge, dès que son bureau (le BSIF) a annoncé avoir pris le contrôle de la filiale canadienne de la SVB.
La filiale canadienne de la SVB a ceci de particulier qu’elle est autorisée à prêter, mais non à accepter des dépôts. Bien que certaines entreprises canadiennes en démarrage aient déposé des fonds à la SVB aux États-Unis, la filiale canadienne ne détient pas de fonds de clients.
La SVB est un petit prêteur au Canada. En décembre, selon ses déclarations au BSIF, elle affichait 692 millions de dollars américains d’actifs et 349 millions de dollars de prêts au Canada. La Banque CIBC avait au 31 octobre 2021 des prêts de 2,9 milliards de dollars par l’entremise de ses Services financiers Innovation. Une banque qui voudrait augmenter ses prêts à des entreprises en démarrage pourrait reprendre les prêts de la SVB à bon compte.
Les rendements obligataires ont baissé fortement au Canada, emboîtant le pas du Trésor. Les investisseurs ont révisé leurs attentes et parié que la Banque du Canada commencera bientôt à réduire les taux.
Le BSIF a déjà pris les moyens voulus pour surveiller quotidiennement la liquidité des banques canadiennes à la suite de la faillite de la banque SVB.
En somme
Goldman Sachs était presque seule à prévoir que la banque centrale renoncerait à augmenter les taux d’intérêt la semaine prochaine. Les marchés prévoient encore que la Fed continuera d’agir pour contrer l’inflation, malgré les faillites bancaires qui ont secoué le système financier. Lundi, les opérateurs boursiers estimaient qu’il y avait une probabilité de 85 % que le comité fédéral du marché décide d’une augmentation de taux de 0,25 point de pourcentage lors de sa réunion des 21 et 22 mars.
La montée des rendements obligataires a contribué à l’effondrement de la SVB, car elle allait perdre quelque 16 milliards de dollars sur les titres du Trésor dont le cours avait chuté en raison des taux plus élevés.
Est-ce suffisant pour y voir le genre de situation qui amènerait la Fed à changer de cap? Dans l’ensemble, ce n’est pas ce que croit le marché.
Pendant une brève période la semaine passée, les marchés s’attendaient à un changement de 0,50 point, le président de la Fed Jay Powell ayant indiqué que la banque centrale s’inquiétait des données récentes sur l’inflation (voir le graphique ci-dessous).
La Bank of America et Citigroup ont dit s’attendre à ce que la Fed y aille d’un quart de point, et le fasse sans doute encore quelques fois par la suite. D’ailleurs si Goldman croit que la Fed évitera toute hausse en mars, elle prévoit quand même des hausses d’un quart de point en mai, en juin et en juillet.
La réunion de la semaine prochaine sera importante. Le comité fédéral du marché non seulement prendra une décision sur les taux, mais en outre actualisera ses projections, y compris pour le PIB, le taux de chômage et l’inflation.
La Fed obtiendra ses ultimes données sur l’inflation cette semaine lorsque le département du Travail publiera son indice des prix à la consommation pour février, mardi, et l’indice des prix à la production, mercredi. Selon un sondage de la Fed de New York publié lundi, les attentes d’inflation sur un an ont baissé fortement au cours du mois.