Publié par Sherry Cooper
Tiff Macklem et Jay Powell s’inspirent de Paul Volcker — J’étais l’adjointe spéciale de Volcker.
Il y a 43 ans, j’étais l’adjointe spéciale du président de la Fed, Paul Volker
Il semble bien que l’inflation marquera la fin autant que le début ma carrière. J’ai démarré comme économiste à la division de la recherche du Federal Reserve Board, à Washington, à la fin des années 1970. Dans cette période, l’inflation grimpait constamment. Ni Arthur Burns ni G. William Miller, présidents de la Fed avant Paul Volker, n’avaient eu le cran de hausser les taux d’intérêt suffisamment et assez longtemps pour réduire l’inflation à un niveau bas durable. Volker y est parvenu – et il a été vertement critiqué pour sa peine, du moins initialement. Depuis lors cependant, il a acquis un statut légendaire, reconnu comme le banquier central dont la politique implacable a maté l’inflation pour les décennies suivantes.
Comme l’illustre le graphique ci-dessous, à la fin de 1979, la Fed de Volker a augmenté le taux directeur à un jour bien au-delà du taux d’inflation, puis a maintenu des taux d’intérêt réels (nets de l’inflation) positifs pendant une période prolongée.
L’actuel président de la Fed, Jay Powell, a exprimé une profonde admiration pour Paul Volker, l’appelant « le plus grand fonctionnaire économique de l’époque ». Le mois passé, Powell a fait allusion à la ténacité de son prédécesseur, affirmant que les responsables des politiques allaient tenir bon jusqu’à ce que l’objectif soit atteint – faisant écho au titre des mémoires de Volker, Keeping at it.
La Banque du Canada n’était pas lâche non plus face à l’inflation. Comme l’indique aussi le graphique, elle a haussé les taux d’intérêt en parallèle avec la Fed dans les années Volker, et encore davantage au début des années 1990, quand Ottawa s’employait à éliminer les déficits budgétaires canadiens.
Aujourd’hui, Tiff Macklem a devancé la Fed en augmentant les taux. Dans une allocution qu’il prononçait jeudi, il a constaté que l’économie est encore en situation de demande excédentaire « manifeste », les entreprises devant composer avec un marché de la main-d’œuvre extrêmement serré, les salaires augmentant de plus en plus et les pressions inflationnistes ne montrant aucun signe d’essoufflement. Macklem a dit que les sources d’inflation, initialement les prix des biens, comprennent maintenant les prix des services. « Le marché du travail reste très tendu. Le nombre de postes vacants a un peu diminué mais est encore à un niveau exceptionnellement élevé. Nos enquêtes auprès des entreprises font état de pénuries de main-d’œuvre généralisées. La croissance des salaires, elle, s’est accélérée et continue à toucher plus de secteurs.
« Dans un contexte où la demande dépasse l’offre, la concurrence dissuade moins les entreprises d’augmenter les prix; elles répercutent plus rapidement sur leur clientèle le coût plus élevé des intrants. Résultat, le renchérissement de l’énergie et des matériaux se retrouve dans les prix d’un nombre croissant de biens et services. Alors, même si la flambée des prix de l’essence s’essouffle, les pressions inflationnistes restent fortes et continuent à s’amplifier. En août, plus de trois quarts des biens et services composant l’IPC ont enregistré une hausse de prix supérieure à 3 %.
« Dans notre quête d’un point de retournement plus clair pour l’inflation, les mesures de l’inflation fondamentale deviennent de plus en plus pertinentes. […] [L]’inflation est d’environ 5 %, même lorsqu’on exclut les composantes volatiles de l’IPC et celles qui ne correspondent pas à des variations généralisées des prix C’est beaucoup trop! Nous pouvons aussi voir que nos mesures de l’inflation fondamentale n’ont pas encore diminué sensiblement, même si l’inflation mesurée par l’IPC global recule depuis deux mois. À l’avenir, nous surveillerons nos mesures de l’inflation fondamentale à la recherche d’un point de retournement clair dans l’évolution de l’inflation sous-jacente. » Pour conclure, le gouverneur affirmait qu’il reste beaucoup à faire : « Nous le savons, nous sommes loin d’un retour à la cible de 2 %. Il faudra du temps pour y arriver. Ce ne sera pas un long fleuve tranquille, ça aussi nous le savons, mais nous ne pouvons pas nous permettre de laisser s’installer une inflation élevée. »
Au vu des déclarations explicites de la Fed et de la Banque du Canada, il n’y a aucune logique à ce que les économistes de Bay Street parient que le taux directeur culminera au Canada à environ 4 % d’ici la fin de l’année. Ils prévoient encore une baisse des taux à court terme l’année prochaine en conséquence d’un ralentissement de l’activité économique. Je ne suis pas d’accord avec eux.
Il y a diverses opinions sur le point auquel les banques centrales devront encore hausser les taux, mais la question vitale est de savoir à quel point les taux auront un réel effet restrictif. On peut supposer que le taux cible à un jour doit augmenter au-delà du taux d’inflation. Le président de la Fed, Jerome Powell, a dit que pour lui, les taux d’intérêt réels devraient être positifs sur toute la courbe de rendement. Aujourd’hui, les taux américains à court terme et à long terme sont encore les plus bas, par rapport à l’inflation, depuis l’ère Burns au milieu des années 1970 (voir le graphique ci-dessous). Les opérateurs boursiers parient que le taux américain à un jour augmentera encore de 125 points de base (pb) d’ici la fin de l’année, et continuera de grimper l’an prochain, jusqu’à 4,6 % selon l’estimation médiane.
Le président Powell a précisé qu’il est prêt à tolérer une croissance bien plus lente. Selon les économistes de Bloomberg, le Canada pourrait avoir à la fois une croissance plus rapide et des taux d’intérêt plus bas dans les trois années à venir – une conjoncture économique particulière, supposant que le pays est mieux protégé des secousses mondiales, y compris une éventuelle récession américaine – mais ne subira pas la même pression que la Fed.
Les marchés monétaires à court terme parient que la Banque du Canada arrêtera ses hausses de taux à environ 4 %, alors que le taux de référence de la Fed culminerait à environ 4,6 % et resterait sous les taux à court terme américains pendant encore au moins trois ans.
Voilà qui paraît résolument déraisonnable au vu de la chute du dollar canadien, qui est maintenant à 0,728 $ US, contre 0,814 $ US un an plus tôt. Cette dépréciation reflète la force démesurée du dollar américain – monnaie refuge du monde entier en temps d’énorme incertitude et de volatilité. Le dollar canadien a mieux résisté que la monnaie d’autres pays du G7, mais la baisse de notre dollar augmentera les prix des nombreux produits et services américains que nous importons, ce qui contribuera à l’inflation.
Courbes de rendement inversées
Au Canada et aux États-Unis, les rendements sur 2 ans ont augmenté fortement, dépassant nettement les rendements sur 5 ans. Le 6 octobre, le rendement des obligations du gouvernement du Canada à 2 ans était de 4,0 %, contre 3,49 % sur 5 ans et 3,31 % sur 10 ans. L’implication en est que les marchés prévoient un ralentissement de l’activité économique, mais il n’en découle pas que le taux directeur à un jour baissera en 2023 comme le prévoit Bay Street, surtout si l’inflation fondamentale reste supérieure à 2 %. Le taux préférentiel canadien est actuellement de 5,45 %, bien au-delà du rendement à 5 ans de 3,49 %. Lorsque le Conseil de direction de la Banque du Canada tiendra sa prochaine réunion le 26 octobre, il augmentera sans doute le taux directeur d’au moins 50 pb, à 3,75 %. Le taux préférentiel atteindrait alors 5,95 % ou plus – augmentant nettement l’attrait relatif des prêts hypothécaires à taux fixe.
En somme
Pour la plupart de mes lecteurs, l’inflation est une toute nouvelle expérience, comme le sont des taux d’intérêt en hausse. Au Canada, l’inflation était à 2,2 % au début de la pandémie, et le rendement des obligations à 5 ans était d’à peine 1,3 %. En peu de temps, la banque centrale a réduit le taux à un jour, de 1,75 % à 0,25 %, le taux préférentiel a chuté, de 3,95 % à 2,45 %, et le rendement des obligations à 5 ans est tombé jusqu’à environ 0,32 %. La demande de logements a explosé et est restée forte jusqu’à un sommet en février 2022, quand la Banque du Canada a commencé à hausser les taux d’intérêt.
Les taux d’intérêt ne reviendront pas aux niveaux d’avant la pandémie l’année prochaine, ni même l’année d’après. Nous ne reverrons sans doute jamais des taux aussi bas que pendant la pandémie, du moins je l’espère, parce qu’il faudrait une nouvelle fermeture de l’économie mondiale. Par conséquent, la psychologie des emprunteurs hypothécaires va changer. Ils seront plus nombreux à opter pour des taux d’intérêt fixes, et d’ici à ce que tout ceci soit passé, une nouvelle génération comprendra que les taux d’intérêt peuvent non seulement baisser, mais parfois s’élèvent à des niveaux inattendus et y restent plus longtemps que prévu. C’est une leçon douloureuse qu’il faut retenir.