Publié par Sherry Cooper
La politique tarifaire de Trump est condamnée partout dans le monde.
Personne ne profite des tarifs douaniers
Même si c’est lui qui avait négocié l’accord commercial actuel entre les États-Unis, le Mexique et le Canada au cours de son premier mandat présidentiel, Donald Trump en a violé les conditions samedi. Il a déclenché une chute des marchés boursiers en donnant suite à sa menace d’imposer des tarifs douaniers au Canada, au Mexique et à la Chine. Ces tarifs doivent entrer en vigueur mardi à moins d’une entente de dernière minute à la suite des appels téléphoniques entre Trump et les dirigeants du Canada et du Mexique. L’Union européenne est la cible suivante sur la liste de Trump, et elle a promis de répondre fermement si elle est visée aussi.
Trump a imposé des tarifs douaniers de 25 % sur les biens provenant du Mexique et du Canada, de 10 % sur l’énergie canadienne et de 10 % sur les biens de Chine. Il s’est justifié en soutenant que ces mesures forceraient le Mexique et le Canada à s’attaquer à des problèmes liés à la migration irrégulière et au trafic de drogue. Cependant, si des produits chimiques précurseurs du fentanyl arrivent de Chine et des migrants irréguliers franchissent la frontière sud avec le Mexique, le Canada ne représente qu’environ 1 % de ces deux problèmes.
Les pays touchés préparent leurs réactions. Le Canada a lancé un plan de crise rappelant son action en réponse à la pandémie de COVID-19, et la présidente mexicaine Claudia Sheinbaum a élaboré un « plan B » pour protéger son pays. Par contre, la réponse de la Chine a été plus modérée : elle s’est engagée à prendre des « contre-mesures correspondantes », sans plus de détails.
Le Wall Street Journal, habituellement considéré comme une publication conservatrice, a critiqué Trump en parlant de « la guerre commerciale la plus stupide de l’histoire ». Selon le Journal : « M. Trump semble parfois croire que les États-Unis ne devraient rien importer du tout, que l’Amérique peut être une économie parfaitement fermée fabriquant tout elle-même. C’est ce qu’on appelle autarcie, et ce n’est pas le monde dans lequel nous vivons ou dans lequel nous voudrions vivre, comme M. Trump pourrait bientôt le constater.
Trump a hérité d’une économie vigoureuse de son prédécesseur, le président Joe Biden. Cependant, quand la secrétaire de presse de la Maison-Blanche Karoline Leavitt a confirmé vendredi la décision de Trump d’imposer les tarifs, le marché boursier a plongé. Trump avait précédemment insisté que les tarifs stimuleraient l’économie, mais il a reconnu aujourd’hui que les Américains pourraient subir « UNE CERTAINE DOULEUR » par suite des tarifs. Et d’ajouter : « MAIS NOUS RENDRONS SA GRANDEUR À L’AMÉRIQUE, ET CELA VAUDRA BIEN LE PRIX QUI DOIT ÊTRE PAYÉ. »
Trump s’est affiché en partisan de tarifs douaniers, et il loue souvent l’ancien président McKinley pour les vastes tarifs qu’il avait imposés. Au bout de 450 amendements, la Tariff Act of 1890 avait augmenté les tarifs douaniers moyens de 38 % à 49,5 %. McKinley, surnommé « le Napoléon de la protection », a augmenté les tarifs sur certains biens tout en les réduisant sur d’autres, visant toujours à protéger les intérêts manufacturiers américains. Au cours de sa présidence, la croissance économique a été rapide, renforcée par le tarif Dingley de 1897 qui visait à protéger les fabricants et les travailleurs d’usine contre la concurrence étrangère.
Trump prétend que les tarifs de McKinley ont fait des États-Unis un leader économique mondial, mais d’autres facteurs ont contribué à ce résultat. À la fin du 19e siècle, l’immigration aux États-Unis a monté en flèche, et les entrepreneurs américains ont exploité les pratiques exemplaires vues en Grande-Bretagne, qui était à l’époque le chef de file mondial des progrès technologiques.
Aujourd’hui, l’industrie automobile américaine fonctionne comme une entité nord-américaine, avec des chaînes d’approvisionnement hautement intégrées entre trois pays. En 2024, le Canada fournissait presque 13 % de toutes les pièces automobiles importées aux États-Unis, et le Mexique, presque 42 %. Les spécialistes de l’industrie notent que souvent, un véhicule produit sur le continent franchit des frontières plusieurs fois, les fabricants cherchant les solutions les plus économiques pour l’approvisionnement en composants et pour l’ajout de valeur.
Cette intégration profite à tous. Selon le Bureau du représentant des États-Unis au commerce extérieur, l’industrie a contribué plus de 809 milliards de dollars à l’économie américaine en 2023, soit environ 11,2 % de la production manufacturière totale des États-Unis, soutenant 9,7 millions d’emplois directs et indirects aux États-Unis. En 2022, les États-Unis ont exporté 75,4 milliards de dollars de véhicules et pièces au Canada et au Mexique. Selon l’American Automotive Policy Council, ce chiffre a grimpé de 14 % en 2023, s’élevant à 86,2 milliards de dollars.
Sans ce commerce, les fabricants automobiles américains peineraient à soutenir la concurrence. L’intégration régionale est devenue une stratégie manufacturière généralisée au Japon, en Corée et en Europe. Elle vise à tirer parti des ouvriers qualifiés et des marchés du travail à faibles coûts pour s’approvisionner en composants, pour développer des logiciels et pour faire du montage.
En conséquence, la capacité industrielle américaine en matière d’automobiles a évolué en même temps qu’augmentaient les véhicules, les moteurs et les composants importés. De 1995 à 2019, ces importations ont augmenté de 169 %, alors que la capacité industrielle américaine correspondante augmentait de 71 %. Des milliers d’emplois bien payés dans le secteur automobile d’États comme le Texas, l’Ohio, l’Illinois et le Michigan sont concurrentiels grâce à cet écosystème qui compte largement sur des fournisseurs au Mexique et au Canada.
Les tarifs perturberont aussi le commerce transfrontalier de produits agricoles. Dans l’exercice 2024, le Mexique fournissait environ 23 % des importations agricoles des États-Unis, et les Canada, environ 20 %. Des grands producteurs américains se sont installés au Mexique en raison de limites réglementaires et d’avantages économiques.
Le premier ministre canadien Justin Trudeau a promis de répondre dollar pour dollar aux tarifs américains. Comme l’économie du Canada est plus petite, son PIB en souffrira davantage, mais les consommateurs américains devront payer davantage pour certains biens.
Rien de ceci ne devait arriver aux termes de l’accord commercial entre les États-Unis, le Mexique et le Canada que M. Trump avait négocié et signé dans son premier mandat. Le fait que les États-Unis puissent faire fi de leurs traités même avec des amis n’incitera pas d’autres pays à conclure des ententes. Peut-être est-ce que M. Trump criera victoire et reculera s’il obtient quelques concessions symboliques. Cependant, si une guerre commerciale nord-américaine persiste, ce sera bien une des plus stupides de l’histoire.
En somme
C’est une situation perdant-perdant. Les prix augmenteront dans les trois pays du continent si les tarifs persistent. L’inflation en sera le premier effet, et nous verrons rapidement des mises à pied dans le secteur automobile et ailleurs. Ensuite, la Banque du Canada serait confrontée à une récession et amenée à assouplir la politique monétaire pour y répondre. Les taux d’intérêt baisseraient considérablement. Le rendement des obligations du gouvernement du Canada sur 5 ans a chuté, à 2,59 %. Cela étant, l’activité sur le marché de l’habitation accélérerait, comme nous l’avons vu en 2021, avec une faible activité économique mais un essor de l’habitation grâce à des taux hypothécaires réduits.
J’espère encore qu’une guerre commerciale en règle peut être évitée. Il y a place à négociation. Selon le journaliste Rob McLister : « Trump sous-estime la révolte mondiale contre cette politique, et c’est là une raison de plus pour laquelle ces tarifs pourraient durer des mois, pas des années. » Ce ne sera pas bon pour les États-Unis. Trump a promis de réduire les prix, mais des tarifs soutenus entraîneront indiscutablement une hausse des prix. Une part de cette augmentation sera absorbée par les importateurs américains, et une part, par les exportateurs canadiens tenant à conserver leurs parts de marché. Il reste qu’en bonne partie, les tarifs finiront par être refilés au consommateur américain. Ce fait, combiné à un ralentissement économique nord-américain, minera certainement le taux d’approbation de M. Trump.